PRATIQUE ET PRAXIS

PRATIQUE ET PRAXIS
PRATIQUE ET PRAXIS

Le terme de pratique (le mot praxis , courant en allemand, ne s’emploie en français que depuis peu) se rapporte d’abord à toute activité humaine et s’oppose à la théorie, alors considérée comme abstraite. Comme adjectif, il désigne ce qui est utile ou commode pour une action efficace et caractérise des hommes aussi bien que des procédés, des règlements, etc.

Dans l’usage philosophique, la pratique se distingue de la contemplation tournée vers ce qui est éternel et immuable et n’est donc pas accessible à l’action humaine, qui s’exerce toujours sur un donné changeant et modifiable.

Cependant, cette distinction n’est pas absolue. Étant donné que toute théorie est œuvre humaine et donc une forme d’action qui transforme un donné, celui-ci ne serait-il que l’homme pensant lui-même, un rapport s’établit dans lequel la pratique influe sur la théorie, de même que celle-ci agit sur celle-là. C’est dans le contexte d’une théorie globale qui unit les deux en les opposant (dialectique de l’action et de la théorie) qu’on emploie, surtout dans les écoles marxistes, le terme de praxis comme concept supérieur à une opposition inconditionnée, critiquée alors comme mécanique; mais, même en l’absence de ce terme, le problème de leur action réciproque est omniprésent dans l’histoire de la pensée.

1. La naissance du problème

La pratique en tant que telle ne saurait faire problème avant qu’elle ne soit opposée à une théorie pure. L’idée d’une telle théorie, désintéressée parce que ne visant aucun but et aucune modification des conditions existantes, est d’origine grecque. Il n’est pas douteux que certaines connaissances en mathématique ou en astronomie, que nous dirions «théoriques», soient venues en Grèce, issues de Mésopotamie et d’Égypte; mais ces vérités ne sortaient pas du domaine de l’intérêt pratique et technique et ne furent poursuivies que dans ces limites: les mathématiques servaient à la comptabilité administrative et à la construction des temples et des autels, l’astronomie rendait possibles des prédictions astrologiques ou révélait la volonté des dieux. C’est chez Platon que pratique et théorie se séparent et que leur rapport devient problématique. Après Parménide et les pythagoriciens, il se met à chercher ce qui, dans un monde en constant changement, demeure «lui-même», et est ainsi saisissable par la raison (ou logos , à l’origine parole , ce qui peut être dit sans échapper par sa fluidité au discours en grec à la fois ce qui s’offre à la vue et la vision même). La théorie (qu’il est préférable d’appeler, avec son nom grec, théôria , pour la distinguer de ce que nous comprenons sous «théorie» et qui se réfère à l’action et à l’activité) est pour Platon vision des Idées, c’est-à-dire des structures sensées à partir desquelles les phénomènes deviennent compréhensibles et peuvent ainsi être «sauvés», c’est-à-dire saisis en leur essence indestructible. Comme cependant cette théôria n’est pas immédiatement donnée à l’homme, il lui faut agir sur lui-même en vue d’une conversion qui le détourne du monde des affaires pratiques et de son agitation; mais cette conversion se fait nécessairement dans ce même monde et c’est à lui que doit retourner celui qui a vu les originaux de ce qui ne se présente ici-bas que sous forme de copies imparfaites: par toute une partie de son être, l’homme appartient au monde sensible, et la vie pratique apparaît donc comme condition de la vie dans la théôria. Il faut alors que le monde dans lequel on s’affaire n’obstrue pas l’accès à la contemplation; bien plus, il faut rendre plus facile cet accès au moyen d’un entraînement systématique qui, dans le sensible, montre au débutant le stable qui est objet d’un premier savoir (mathématique, proportions musicales) et le conduit ainsi vers les Idées. L’action véritable, celle qui, seule, vaut la peine, porte par conséquent sur l’ensemble de la vie des hommes dans la cité, qu’elle veut orienter par référence au cosmos des Idées: elle est morale et éducative. L’activité qui transforme le monde sensible en vue de buts sensibles détourne en revanche l’homme de son but véritable, parce qu’elle se tient dans l’univers des «copies», des simulacres, le dédoublant même et en aggravant les défauts, puisque ce qu’elle produit n’est que copie artificielle de copie naturelle, doublement distant de ce qui est en vérité.

Platon n’oublie pas pour autant que l’homme, ou plutôt une partie de l’humanité, doit travailler pour produire ce qui est nécessaire à une vie civilisée. Mais ce n’est qu’Aristote qui fait en toute clarté la distinction tripartite qui, souvent mutilée et en partie oubliée, dominera toute l’histoire du problème. À la vie dans la théôria , qui reste pour lui la vie parfaite, il joint une vie pratique , c’est-à-dire politico-morale de style platonicien, et une vie poïétique , vie de fabrication, de production matérielle, de travail. Pour lui, comme pour tout Grec, cette dernière forme d’existence est indigne de l’homme parfait, pleinement homme; le travail productif est celui de ces instruments vivants, de ces «animaux à pieds d’homme» que sont les esclaves, voire celui des animaux (et Aristote voudrait le laisser, si c’était possible, à des machines). Mais non seulement Aristote, comme Platon, admet la nécessité du travail et de la technique, mais encore il attribue à l’art de l’artisan un rôle décisif dans la constitution de la connaissance théorique de la nature. Celui qui forme un objet prend nécessairement appui sur la nature qui lui fournit aussi bien l’idée d’un lit, en lui présentant le modèle à parfaire sous les espèces de la couche, que le matériau; bien plus, en travaillant, nous ne faisons qu’imiter des processus naturels, ce qui signifie que c’est en travaillant, par notre pratique technique, que nous comprenons comment la nature agit: la nature est bien le fondement réel de tout art , mais l’art est le fondement de toute connaissance précise de la nature. Une science positive des choses naturelles, en particulier du vivant, devient ainsi possible, science d’observation, de comparaison, d’analyse, une cinétique du squelette, une anatomie comparée, une sociologie, etc. Il est vrai que ces connaissances, aux yeux d’Aristote, n’ont pas droit au titre de théôria , sauf dans la mesure où elles révèlent du permanent dans le périssable, et que, pour autant qu’elles visent des résultats pratiques, elles ne sont que des techniques; il n’en reste pas moins que le concept moderne d’une théorie utilisable et utile y est plus que préfiguré. Toute science vraie demeure, comme pour Platon, savoir de ce qui ne change pas; mais l’immuable doit être découvert dans la réalité sensible, et il n’y a plus d’Idées transcendantes qui pourraient être contemplées elles-mêmes en elles-mêmes.

Si la vie de l’homme n’est pas détournée du chemin de sa perfection naturelle (corrrespondant à la nature de l’homme, qui se distingue de l’animal par la raison et l’intellect), elle ne se passe cependant pas dans le travail, mais sur le plan politico-moral, celui du vrai savoir, de la théôria , étant réservé au petit nombre: pour la majorité, l’action politique (praxis ), action du citoyen qui participe aux affaires de sa communauté, est le champ d’activité.

2. Vie active et vie contemplative

L’attitude «normale» est ainsi de l’ordre de la morale et de la politique. Avec la disparition de l’autonomie de la cité, conséquence de l’apparition des empires, elle changera; l’individu ne pourra plus véritablement influer sur des décisions qui, dorénavant, dépendent d’autorités tout autres que celles de sa cité. Le résultat n’est cependant pas une évaluation positive de la technique et du travail; au contraire, le refus du besoin, comme chez les stoïciens, qui veulent libérer l’homme de tout désir autre que de perfection philosophique, ou chez Épicure qui attend d’un repli sur la nature la libération de tout souci et de toute peur, ou enfin chez les néo-platoniciens qui veulent retourner à une félicité dans la pure contemplation, est l’attitude dominante parmi les penseurs d’une époque qui ne peut plus chercher que des consolations dans une vie qui ne connaît ni indépendance ni sécurité. Le travail est du domaine de la nécessité, il n’a aucune dignité et n’en procure non plus aucun bonheur, vu qu’il est source de souci même quand il est couronné de ces succès méprisables qu’il apporte dans le meilleur des cas, savoir l’enrichissement et la jouissance des faux biens matériels et sensibles. Ne restent que la théôria et l’action morale de l’individu isolé en lui-même.

Lorsque le christianisme devient une religion d’État et la religion la plus répandue dans le monde méditerranéen, le rôle du travail et de l’activité matérielle change de nouveau, et cela sous deux aspects: le travail manuel est d’institution divine, mais au titre de punition; la théôria , la vue et la saisie de ce qui est vraiment, est refusée à l’homme ici-bas, mais il peut (et doit) viser une visio beatifica , promise aux élus dans l’au-delà: l’existence dans ce monde et selon les règles de ce monde est peine et travail. La praxis païenne du citoyen n’est pas seulement devenue impossible sous les conditions de l’Empire (et, plus tard, de la violence féodale), elle est dévaluée – puisque ses problèmes ne concernent que les hommes concupiscents et leur gouvernement –, nécessaire, voulue par Dieu, mais comme pis aller. À la vita activa s’oppose, sans médiation, la vita contemplativa de celui qui s’abandonne, renonçant aux biens de ce monde, à la recherche de Dieu et de sa propre sanctification au moyen de la prière, de la retraite, des privations et des souffrances, librement assumées pour l’amour de Dieu.

La vie pratique joue ainsi un rôle ambigu. Elle est née d’une punition divine, mais qu’il faut accepter: c’est une existence inférieure, mais dans laquelle on peut faire son salut, à condition qu’on y observe les règles de la morale, qu’on soit obéissant à l’égard de l’enseignement de l’Église et soumette sa propre volonté à celle des représentants de Dieu, qu’on montre une juste estime des biens de ce monde en les mettant à la disposition du pouvoir spirituel. Dans le meilleur des cas, qui est rare puisque le monde est tentation, ce n’est toujours qu’un moindre bien, pour ne pas dire un moindre mal, en comparaison d’une vie passée dans la prière et la contemplation ou au service de l’Église.

La réalité ne se conforme à cet enseignement que très partiellement. La proportion du produit social qui va à l’Église et à ses institutions est sans doute considérable, due au sentiment répandu de la propre indignité ou de la propre insuffisance de l’homme. On observe des crises sociales d’inspiration religieuse dans lesquelles s’expriment de tels sentiments, auxquels on répond par de nouveaux rites et de nouvelles organisations (confréries de pénitents, flagellants); les mouvements guerriers (croisades) contre les hérétiques ou contre les infidèles sont souvent intéressés en ce qui concerne certains chefs, bien que la masse y fasse preuve d’un zèle réel et sincère. Mais la vie active, au nouveau sens, celle qu’Aristote aurait désignée comme vie poïétique (vie de travail, de production, de commerce), non seulement garde ses droits (comme en réalité elle l’a fait à toutes les époques), mais elle gagne en intensité. Le monde du Moyen Âge doit produire sa subsistance, il ne peut plus, comme l’Empire romain, la tirer de l’exploitation de peuples soumis et de nouvelles conquêtes. Pour la même raison, si l’esclavage existe toujours, sous la forme antique comme sous celle du servage, la main-d’œuvre se fait rare. Aussi ces siècles, souvent considérés, et non sans raison, comme barbares, voient-ils éclore une technique nouvelle, née de la nécessité d’employer au mieux les forces disponibles (attelage rationnel du cheval, gouvernail) ou d’en domestiquer d’autres que l’Antiquité avait connues, mais qu’elle n’avait pas mises au service des hommes, celles de la nature non vivante (machines à eau et à vent). On peut regarder comme significatif que les mêmes siècles conçoivent, en rêvant de solutions magiques, des résultats que notre époque a fini par obtenir en partant des premières réalisations du Moyen Âge.

Il n’est que naturel que l’enrichissement qui résulte de cette révolution technique et économique ait conduit à une réévaluation de la vie active, d’abord non dans les idées explicites, mais dans les attitudes vécues. L’homme s’installe dans ce monde; s’il reconnaît à Dieu un droit de souveraineté, il commence de douter des prérogatives juridiques et économiques de ses représentants sur terre, bientôt regardées comme anti-économiques. Dès les XIIIe et XIVe siècles, on déclame contre les moines fainéants, le clergé rapace, la papauté qui suce la moelle des peuples laborieux. Au début des temps modernes, on assiste à une réhabilitation très consciente de la vie productive, laborieuse: le mouvement de la Réformation du XVIe siècle, qu’avaient précédé de nombreuses tentatives vite réprimées, puise maintenant sa force dans la bourgeoisie des villes commerçantes et industrielles et déclenche des révoltes paysannes contre les nobles et les hommes d’Église fainéants. Certes, l’homme doit faire son salut, la règle fondamentale de toute morale chrétienne subsiste, mais il doit le faire en travaillant et en sanctifiant le monde par son travail. Ce qui le sauvera est bien la foi, mais cette foi doit être vivante et se prouver, s’éprouver, dans les œuvres qu’elle produit, non les bonnes œuvres des jeûnes, des pèlerinages, des fondations pieuses; c’est la probité dans les relations humaines qui compte, le devoir accompli à la place que Dieu a attribuée à chacun. Bientôt, avec le calvinisme tardif en particulier, le succès dans le monde sera la preuve de l’élection: Dieu a promis qu’il bénira l’œuvre des mains de ses fidèles. Descartes, restant fidèle à la religion de sa nourrice, consacre son œuvre à l’entreprise visant à faire de l’homme le «maître et possesseur de la nature», et Bacon veut détourner ses contemporains des vieilles spéculations oiseuses en leur proposant une science pratique, faite d’observations utiles. La Révélation n’est pas (encore) niée, mais elle est neutralisée; la foi devient l’affaire de l’individu dans le secret de son cœur et de sa vie privée: le livre de la Grâce peut et doit être étudié, mais sa lecture est difficile au point de ne conduire à aucun résultat certain et d’ouvrir les portes à toutes sortes d’interprétations enthousiastes, tandis que le livre de la Nature se présente grand ouvert et tel que tous ceux qui veulent le lire le liront tous de la même façon, leur accord pouvant être l’aboutissement de longues discussions, mais qui ont leurs règles universellement reconnues et appliquées. L’homme est travailleur encore quand il s’adonne à la science «théorique»: c’est la pratique de l’expérimentateur et de l’observateur qui décide en dernier ressort. Le croyant qui fait de la physique peut toujours, tel Newton, essayer de déchiffrer les secrets messages de la Bible, voire espérer une illumination personnelle par l’Esprit; en tant que physicien, il ne connaît que la pratique de son travail intellectuel et manuel, poursuivi selon une méthode imposée par la nature, et s’il est l’inventeur d’une nouvelle vérité, c’est qu’il est simplement celui qui, le premier, a trouvé ce que n’importe qui aurait pu déduire des observations sans l’aide d’une grâce et d’une lumière surnaturelles.

3. Théorie et pratique dans la science moderne: la technique rationnelle

Le concept de théorie change de signification avec l’apparition de la nouvelle science. L’intention platonico-aristotélicienne demeure, mais seulement en ce qu’elle a de plus profond, la volonté de déceler le permanent dans le changeant, de réduire le flux des sensations et des observations immédiates à quelque chose d’immuable qui le sous-tend et le rend ainsi saisissable et compréhensible. La mise en œuvre du projet n’en est pas moins radicalement différente: il ne s’agit plus de découvrir des objets stables, des idées ou des formes, mais des relations observables et mesurables, c’est-à-dire mathématisables et ainsi objectives, vérifiables par tous ceux qui en veulent prendre la peine. Pour l’esprit antique, toute intervention dans le cours des événements naturels aurait faussé les données; pour la science moderne, seule l’intervention de l’expérience méthodique, conçue pour répondre à la question précise que pose le physicien, peut donner les résultats cherchés. Il faut isoler les facteurs, afin qu’on puisse les distinguer, les mesurer, en vérifier les relations ou l’absence de relations, il faut déceler les constantes cachées; en un mot, il faut surprendre la nature en la soumettant à un examen conduit systématiquement, pour arriver à une série continue (non interrompue par des lacunes) de lois, c’est-à-dire à des fonctions mathématiques cohérentes entre elles et dont la valeur analytico-descriptive peut être éprouvée par l’observation de processus que le physicien provoque et arrange à cette fin.

Ainsi naît une pratique scientifique très différente de la simple collection de faits qui avait caractérisé la science naturelle de l’Antiquité. Il faut des instruments de précision, des montres, des télescopes, des microscopes, sans lesquels l’analyse et l’expérience seraient impossibles, et ces outils de la recherche doivent être fabriqués par l’homme de science ou des spécialistes qu’il instruit. La pratique fait partie intégrante, non de la théorie, mais de son progrès et agit autant sur elle qu’elle la sert: le laboratoire (de labor , travail!) est né. L’esprit expérimental se répand de là: Bacon, quoique très loin d’une physique mathématique, prône l’invention, non spéculative mais utile, et il ne fait que préfigurer l’esprit nouveau d’une industrie qui se veut en progrès constant sur le plan de la technique.

Les nouvelles machines, en particulier la machine à vapeur, ne naissent pas, en effet, de la théorie: on en construit longtemps avant que les physiciens n’en aient fait la théorie mécanique et dynamique: la pratique précède, la théorie suit; mais elle ne fait pas que suivre: en montrant comment le résultat déjà atteint peut se comprendre scientifiquement, c’est-à-dire dans le langage analytico-mathématique de la physique, elle rend possibles des progrès auxquels la technique irréfléchie de l’artisan et du constructeur purement empiriques n’auraient pas pu parvenir, comme elle rend possibles, à l’aide du calcul des constantes des matériaux, des économies de frais de construction de plus en plus grandes. Le calcul, rendu concrètement applicable par la pratique, s’empare de la technique non scientifique pour la transformer en la faisant avancer par une prise de conscience des conditions de son progrès: le monde est devenu celui d’une pratique théorique, d’une théorie pratique, les deux indissolublement unies.

Dans ce monde, une théorie pure, désintéressée en ce qui concerne ses résultats pratiques, ne subsiste plus que sous la forme d’une science fondamentale, fondement de toutes les sciences particulières; c’est celle de la mesure (mathématique), jointe à celle des conditions générales de la mesurabilité (physique théorique), toutes deux aspects de la théorie générale de la méthode (méthodologie). Qu’une telle science puisse offrir à ceux qui s’y adonnent des joies purement intellectuelles, les joies de la théôria , il n’y a pas lieu d’en douter; ce n’en est pas moins un savoir, non d’objets éternels, mais de fonctions qui ne trouvent de contenu qu’en la spécification des valeurs que prennent ou peuvent prendre leurs variables. Un cosmos visible et admirable en sa beauté sensée a cédé la place à un autre, consistant en des formules mathématiques, nouveau cosmos qui n’est plus pour l’homme, mais dans lequel l’homme, s’il y trouve encore une place, ne la trouve qu’en tant qu’objet parmi d’autres et comme phénomène déterminé et scientifiquement déterminable.

4. Pratique technique et pratique morale

En tant qu’il pense, c’est-à-dire parle de façon cohérente de ce qui est et le distingue de ce qui n’existe qu’en apparence, l’homme ne se réduit cependant pas au rôle d’objet. Il est également, et surtout, celui qui agit dans la pratique de la science: tout ce domaine est proprement le sien, parce qu’il le constitue et ainsi le connaît en agissant.

Le pragmatisme et le problème kantien du sens

Le pragmatisme, au nom significatif, en tire les conséquences: les spéculations des métaphysiciens, que ceux-ci soient dogmatiques ou critiques, sont dénuées de sens, étant donné qu’aucun prolongement concret n’est donné à leurs thèses, qu’on les accepte ou qu’on les nie; qu’il n’y ait qu’un monde ou qu’il y en ait plusieurs n’importe pratiquement à personne, de même qu’il est parfaitement indifférent qu’une liberté de l’homme existe ou n’existe pas aussi longtemps que nous admettons que du nouveau, de l’inattendu apparaît dans nos vies. Une théorie désintéressée, si une telle théorie n’était pas un pur rêve, serait sans intérêt; seul ce qui influe sur notre façon d’agir compte pour nous, et seul ce que nous pouvons soumettre à notre observation et à notre expérimentation, à notre praxis, est pour nous vrai ou faux; le reste est dénué de sens. La science est véritablement science agissante, et l’action, à l’aide de cette science, la parfait, et se parfait, en un progrès de notre savoir et de notre puissance, auquel aucun terme ne peut être assigné et dont l’idée suffit à nous orienter dans notre pratique.

Un siècle avant les débuts du pragmatisme, Kant avait posé précisément la question du rapport entre la théorie pratique et l’orientation de l’homme. Selon lui, deux familles de théories se distinguent sur le plan de la science: une première, assez proche de ce que le pragmatisme entend sous le terme de théorie, forme un système de règles générales dont l’application dépend de circonstances que la théorie écarte et qui se révèlent seulement dans l’exécution, dans la pratique, de telle façon que le praticien, tout en profitant des efforts du théoricien, reste supérieur à celui-ci jusqu’à ce que la théorie ait rattrapé la pratique; une seconde famille est formée par des sciences fondamentales dont celles du premier groupe ne sont que des applications qui doivent être comprises (par une logique «transcendantale») dans leur «possibilité», c’est-à-dire dans leur prétention de donner une connaissance apodictique d’une réalité qui, au premier abord, se présente comme indépendante de l’esprit qui la saisit. Or une théorie d’une nature tout autre s’oppose aux deux: elle se propose de formuler et de résoudre le problème des fins. Aussi bien avec la première qu’avec la seconde espèce de théories, il s’agit, en effet, d’entreprises humaines, et, sous cet angle, aucune différence ne distingue la théorie du praticien de celle du théoricien des sciences fondamentales: lui aussi a choisi une fin à lui et aurait pu tout aussi bien se tourner vers d’autres buts. Un tel choix est-il arbitraire ou justifié? En général, un choix peut-il être justifié? comment? par qui? Certainement pas par la théorie scientifique, qui ne connaît que des relations de faits et ne saurait distinguer le préférable de ce qui ne l’est pas.

La question ainsi posée est celle du sens, celle-là même que le pragmatisme, confiant dans la marche du monde et de son progrès, ne sent pas le besoin de poser et à laquelle, à plus forte raison, il ne répond pas: nous poursuivons toujours certains buts, mais ces buts méritent-ils d’être poursuivis? La réponse ne peut pas venir de la pratique observée ou observable, puisque celle-ci ne montre les choix que comme des faits, c’est-à-dire sans référence à cette justification qui est ici demandée: de ce qu’un homme agit d’une certaine façon, il ne découle nullement qu’il doive ou ne doive pas agir ainsi. Une autre théorie, une autre pratique se dessinent, une théorie de ce qui doit être réalisé par les hommes, une pratique qui n’influe en rien sur la théorie, mais ne sera que la réalisation d’un but fixé par cette théorie contre laquelle aucune invocation de l’expérience psychologique ou historique ne saurait prévaloir. La plus ordinaire observation montre que la morale, la volonté de l’universel, de l’humanité de l’homme, d’une vie de liberté responsable ne règne pas en ce monde; cela ne prouve d’aucune manière que la morale ne doive pas dominer. Il y a une théorie vraie de la vie pratique, d’une pratique qui reprend son sens antique de décision à l’action, à l’action sensée.

Ce que Kant énonce (et annonce) ainsi n’est pas seulement un principe pour la direction de la vie morale de l’individu. Disciple reconnaissant de Rousseau, il admet que la vie de l’individu, si elle doit avoir sens et dignité, ne peut les trouver que dans une pratique de la vie tout entière et ne saurait donc consister dans le seul progrès des connaissances scientifiques, des techniques, de l’organisation sociale: la vie trouve son sens dans une attitude de libre détermination selon la raison et à la raison. Mais Kant ne suit plus Rousseau quand celui-ci ou bien sépare l’individu de la société présente, définitivement pourrie, ou bien n’oppose à l’état de choses présent qu’un idéal de communauté que lui-même déclare irréalisable. Il est vrai que la civilisation, comme le déclare Rousseau, apporte à l’humanité des souffrances que l’état de nature ignorait; aux yeux de Kant, l’histoire n’est pourtant pas simple déchéance, au contraire: en son évolution morale, l’homme commence par le mal, il va vers le bien, et précisément l’époque présente, celle de la Révolution française, montre que l’humanité, conduite jusqu’ici par une nature qui voulait le développement des facultés de l’espèce, est parvenue au point où elle peut prendre en main son avenir et se déterminer à une marche consciente vers la réalisation d’un monde moral. La théorie morale, loin d’être pure théorie d’une pratique exigée, devient pratique en faisant agir les hommes. Le «royaume des fins», but absolu de la pratique humaine, ce royaume dans lequel le bonheur sera proportionné au mérite moral, ne sera jamais le royaume de ce monde; mais c’est en ce monde, en l’histoire pratique, qu’il doit être cherché, et c’est là qu’il sera réalisé dans toute la mesure où la nature finie et indigente de l’homme permet son avènement, dans un progrès qui, tout en n’aboutissant jamais, n’en est pas moins progrès de l’humanité.

La pratique morale devient ainsi pratique historique, et son sujet n’est plus le seul individu, mais l’humanité. L’individu sera sans doute toujours ambilavent: violent en tant qu’animal indigent, raisonnable par ce qui l’élève, du moins en puissance, au-dessus de ses désirs vers ce qui, universel, fait de lui le représentant de l’humanité et le soumet, le fait se soumettre librement à la loi fondamentale qui exige que l’inspiration de ses actes puisse être celle de tout être raisonnable. Mais il n’accédera à cette conscience de la morale, qui est en même temps conscience morale, que dans une communauté qui est déjà informée par cette universalité extérieure qui a nom «loi». Ce qui reste à faire, c’est que cette loi positive devienne elle-même raisonnable, qu’elle guide les hommes d’action, les princes, les gouvernements, vers le but d’une unité du genre humain telle que tous les rapports entre individus et États soient devenus clairs pour tous ceux qui veulent les penser, où la ruse, le mensonge, la violence, l’oppression aient disparu. Une paix perpétuelle installée, c’est-à-dire l’établissement d’un État mondial, pourrait signifier la pire des tyrannies, puisqu’un gouvernement mondial n’aurait plus à craindre la défection des citoyens et l’intervention étrangère: c’est néanmoins l’idée d’une telle paix qui seule peut légitimer l’action politique en lui prescrivant des méthodes qui, si elles ne peuvent pas conduire l’individu à une vie pleinement morale parce qu’elles lui sont imposées, du moins ne rendent pas sa moralisation humainement impossible.

De la conscience historique à la praxis marxiste

Le discours du philosophe agit en élevant à la conscience ce qui depuis toujours a été l’aspiration la plus profonde des hommes, aspiration que la nature lui a implantée et qui ainsi constitue sa vraie nature; être libre, il peut sans doute toujours fausser cette nature mais, éduqué par des lois justes et instruit par le philosophe, il peut aussi toujours y retourner.

C’est ce passage de l’exigence passionnelle, à la conscience qui constitue pour Hegel, comme pour Kant, le principe de compréhensibilité de l’histoire et son moteur. Ce qui les sépare, c’est le rôle que Hegel reconnaît au travail et à la structure de la société, d’une part, à la passion, de l’autre: l’organisation (ou le manque d’organisation) du processus du travail social et objectivement socialisé constitue la base de l’action politique, laquelle, il est vrai, n’est pas déterminée par là, mais y trouve les limites de ses possibilités. L’homme aspire, en effet, à la liberté et à la dignité; en d’autres termes, il veut être reconnu comme valeur absolue par tous et, surtout, par les institutions; il veut que les exigences de la société et de l’État soient justifiées en raison de telle façon qu’il les puisse accueillir en sa conscience d’individu raisonnable. La morale théorique (la théorie morale) est donc vraie; mais sa vérité est abstraite, «théorique» : c’est dans la pratique de la vie historique, dans la politique concrète que le problème posé par la théorie sera, sinon résolu, du moins traité par la société, par les décisions du gouvernement qui doivent limiter les risques de la lutte des intérêts dans la société, par les contacts entre gouvernants et gouvernés, par la pratique de ceux qui sont chargés, au nom de l’État et comme représentants de l’intérêt général, de l’administration des affaires. Leur pratique, qui est de tous les jours, révèle les problèmes concrets qui chaque jour se posent pratiquement.

Le niveau où vivent les individus est celui des intérêts: il faut en reconnaître aussi bien la légitimité que les limites dans lesquelles ils sont légitimes par rapport à l’intérêt commun. Il n’y a plus de place pour un «souverain bien», sinon sur le plan d’une religion qui n’a pas à intervenir (comme Église) dans les affaires de l’État et de la société: l’homme, ce qu’on appelle l’homme tout court, est réel dans la société, et ce n’est qu’à travers celle-ci qu’il prend part à la politique comme membre de ce corps social dont le gouvernement est l’âme. La philosophie, en tout cas, ne saurait prescrire des recettes aux acteurs; elle peut comprendre ce qui est, même ce qui, dans ce qui est, est tension vers un avenir, c’est-à-dire refus du présent. Mais cet avenir ne sera pas créé par la réflexion; il naîtra de la passion de la liberté et de la dignité, non de leur concept abstrait; et il sera l’œuvre des penseurs pratiques, des praticiens pensant cette passion pour la servir en la rendant raisonnable et ainsi efficace. La philosophie arrive, tel l’oiseau de Minerve, à la tombée de la nuit; son apparition montre qu’une époque est devenue compréhensible, qu’elle a entièrement développé son principe et qu’elle est close; si son chant est par là aussi celui du coq qui annonce la levée d’un nouveau jour, ce n’est pas elle qui en détermine le cours. Ce qu’elle peut faire, c’est de permettre aux praticiens responsables de penser, à partir de son concept, de la structure qui la fait être ce qu’elle est, leur époque, avec ses contradictions, ses aspirations profondes, ses exigences sensées ou aberrantes.

C’est la passion qui forme le ressort de la théorie pratique (ou de la pratique théorique) de Marx. Hegel, lecteur des économistes classiques, avait bien vu que, par une nécessité inhérente à la forme de son travail et à la distribution du pouvoir économique, la société bourgeoise produit une masse humaine qui, indispensable à la marche du travail social, se voit privée de tous les avantages de cette société, matériels aussi bien que moraux, privée de ceux-ci parce que privée de ceux-là. La société capitaliste se caractérise ainsi par une contradiction intérieure qu’elle est incapable de surmonter. Marx part de cette analyse, mais refuse de croire à une solution qui recoure à la raison des capitalistes ou des gouvernements. Il serait vain d’en appeler, comme l’avaient fait les socialistes utopiques, à l’intelligence ou aux bons sentiments des détenteurs du pouvoir économique: une analyse scientifique du mécanisme social démontre que les actions des joueurs ne dépendent pas d’eux, mais de conditions objectives et que l’évolution sociale, à travers les crises de surproduction et de sous-emploi, conduit à une prolétarisation progressive en même temps qu’à une concentration toujours plus poussée du capital. Conséquences d’une concurrence sans cesse plus âpre, des crises économiques provoqueront la catastrophe, ou plutôt elles le feraient si le prolétariat, le seul groupe social qui n’en ait au-dessous de lui aucun autre qu’il pût vouloir exploiter, ne réussissait pas à prendre le pouvoir pour organiser rationnellement la production et la distribution. Il y parviendra sous la conduite d’un parti qui, parce qu’instruit par la nouvelle science de la société, élaborera en connaissance de cause une stratégie et une tactique également scientifiques.

Cette science ne constitue pas une théorie en opposition à une technique qui l’emploierait comme un savoir établi une fois pour toutes: à partir de son fondement, elle déterminera ce qui est facteur réel, et seulement effet et superstructure, dans la pratique de la lutte sociale, d’une lutte qui, à chaque moment, se référera à la science des lois générales de l’évolution sociale. Lénine, de manière plus tranchante que Marx, insistera sur le rôle des «révolutionnaires professionnels» qui, agissant en pensant, pensant à partir de l’action et des possibilités de la situation, incarnent cette conscience historique à laquelle le prolétariat, abandonné à sa spontanéité, ne parviendrait pas, à laquelle cependant le parti révolutionnaire le conduira, à condition de ne pas perdre le contact avec les masses laborieuses. La praxis est la théorie en acte, la théorie est la conscience que l’action prend de sa nature et de sa situation historique. La théorie ne se contente pas de comprendre le monde, comme c’était le cas de la philosophie de Hegel, elle veut le transformer, comme elle devait le faire aux yeux de Kant, avec cette différence que le sujet de l’action (action sur soi-même comme sur le monde) n’est plus l’individu moral ni l’espèce, mais le groupe objectivement sans intérêt particulier et ainsi appelé à réaliser l’universalité.

Les discussions au sujet de la pratique et de la praxis sont assez déroutantes parce que les fronts ne sont pas nettement tracés: quand on parle, par exemple, de l’opposition entre physique théorique, physique expérimentale et technique, l’accord se fait assez facilement, puisque tout le monde admet, du moins implicitement, une interprétation (d’inspiration kantienne) qui unit les éléments pragmatiques à des facteurs théoriques et qui, en ce sens, est dialectique. Une analyse poussée pourrait montrer qu’il n’en est pas autrement en ce qui concerne l’interprétation de la pratique politique. Mais ici, une certaine confusion naît du fait que le caractère de science fondamentale auquel prétendent les théories d’inspiration marxiste est contesté par leurs critiques, tandis que le caractère scientifique de la physique est universellement reconnu, quoiqu’il soit diversement interprété. Aussi ces critiques voient-ils dans la théorie le simple camouflage d’une politique purement pragmatique, sans véritable lien avec cette prétendue science dont seuls les principes premiers, c’est-à-dire ses exigences humanitaires, pourraient être vrais, mais d’une vérité philosophique, non scientifique, et incapables par conséquent de guider l’action positivement; eux-mêmes élaborent des programmes qui ne se réclament pas d’une science universelle et se fondent sur des valeurs qu’ils considèrent comme dernières (politique chrétienne, traditionaliste, etc.). La sociologie moderne, il est vrai, tend, elle aussi, vers une connaissance scientifique des faits sociaux, des facteurs, des relations dont la connaissance peut être utile, voire indispensable au succès de tout projet; mais, comme elle se veut neutre en éliminant les valeurs, c’est-à-dire les directives, pour la praxis, elle abandonne (comme la physique, mais en oubliant que, en opposition à celle-ci, elle a affaire aux hommes) ce qu’elle découvre aux praticiens, lesquels se situent d’ordinaire du côté du pragmatisme positiviste et poursuivent des buts appelés «évidents».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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